Tu grelottes, petite chose épleurée [Shiranui]

Il avait froid. Et cette morsure glaciale le réveilla brusquement, pantois, et ô incroyablement frigorifié.
Non, vraiment, il n'avait pas compris. Les autres... Sa mère... et lui là, qu'il avait cru entrapercevoir une fois... ils l'avaient tout simplement abandonné. Leurs odeurs de loup flottaient encore dans l'atmosphère givrée, et cela laissait comme une impression de deuil sur la fourrure couverte de rosée du jeune loup.
Oh ! Ce qu'il avait froid.
Il tenta maladroitement de rassembler ces souvenirs, d'avant. Il n'y avait rien ; enfin, presque rien. Une chaleur, tout contre son flanc, et puis le noir. Aucun bruit, et juste sa respiration, mêlée constamment à celle de... de sa mère. Cette grande silhouette, lorsqu'il avait vu pour la première fois, ce presque synonyme de chaleur et de sécurité. Elle était parti bien trop loin, et son petit cœur de louveteau se fendillait déjà, de se croire déjà mort.
Quelle notion abstraite, la mort. Il ne la connaissait pas, et pourtant, elle rôdait déjà dans son esprit, comme si ce dernier s'était conforté dans l'idée que cette froid n'aurait jamais de fin. Enfin si, une seule et unique, l'issue suprême : ce serait sa fin. La sienne, dans ce territoire trop glacé.
Il avait faim.
Cela venait de lui, très loin au fond. C'était une peine qui ne pouvait être comblée sur le moment ; il ne l'avait jamais connu, il la découvrait. Cela lui faisait mal. Il gémit, misérablement. Même cette lueur, là haut, cette espèce de lune bien trop grosse et bien trop lumineuse, qui vrillait ses jeunes pupilles de rayons ardents. Tout ce monde-là, qui ne semblait que vouloir le rejeter. Oh ! Monde vilain ! Pourquoi donc s'acharner sur ce lui si lamentable ? Il voulait vivre, il voulait voir le soleil et la vie.
On lui refusait ce plaisir.

Puis, plus tard, mais cela eut semblé, pour le jeune louveteau qu'il était, une éternité, il sentit... une présence. Cela avait même une odeur, presque celle de la silhouette si chaude et si douce. Cela sentait... le loup.
Il était loup. Il vivrait loup. Mais pour l'instant...
Il poussa un gémissement plaintif.

Le temps se rafraîchissait. Bientôt une épaisse couche de neige couvrait la surface de tout le territoire de la Meute de la Feuille. A l'endroit où Shiranui se situait, il faisait plus froid, il était vers la frontière avec la Meute du Mistral. Cette Meute qui était habituée à vivre sous la neige et dans les rochers. Une neige qui ne faisait qu'un avec le Vent et la Glace. Il s'était habitué au fil des jours à cette fraîcheur constante. Il s'était habitué à ces terres stériles et à la vue sur la montagne enneigée. Il essayait d'oublier Kayne au fil des jours. Malgré sa détermination au Temple de la Feuille, quoi qu'il pusse dire, cela causait un profond vide en lui. Il lui faudrait du temps pour s'en remettre. Ce genre de blessures provenant du coeur étaient parfois les plus graves. Celles que tous les traitements du monde ne pouvaient malheureusement guérir. Cela pouvait se transformer en une cicatrice, laissée à vie.

Il se réveilla en une matinée glaciale. Le soleil venait tout juste de se lever et du givre recouvrait l'herbe. Enfin, on savait qu'il était tôt uniquement à cause de l'humidité, le ciel était recouvert d'épais nuages. Des nuages, qui, avec un peu de chance, apporteraient la neige. Cela faisait plusieurs jours qui vagabondait seul dans le coin. Et cela faisait plusieurs jours qu'il n'entendait plus aucun hurlement des membres de sa Meute. Cependant, il savait qu'ils étaient discrets, mais bien présents. Où étaient-ils? Il n'en savait rien. Plus d'une fois, il fut tenté de hurler pour appeler les siens afin de combler cette solitude oppressante mais il n'en était rien. Rester un peu en distance lui faisait du bien. Cette solitude lui faisait du bien. Même si bientôt, il devrait arrêter de se comporter en ermite.

Le jeune loup s'était donc levé et avait continué sa marche, sans but précis, dans ces terres fades, dépourvues de couleurs. Une autre journée blafarde l'attendait. Il sauta sur un rocher en surplomb qui lui donna une vue sur les terres glaciales du nord. Ce paysage était si beau et si triste à la fois. Il resta ainsi, peut être pendant des heures ou pendant une fraction de seconde. Lui-même n'aurait su le dire, le temps ne semblait plus avoir de prises sur lui.

Un bruit au loin l'arracha de sa contemplation. Un gémissement perdu dans la forêt. Shiranui alla voir ce qui se tramait et vit un louveteau, tout seul au froid. Il le renifla et ne portait que l'odeur de la forêt, qui avait tout effacé. Sa mère était sans doutes mortes ou l'avait abandonné. Shiranui le regarda. Une pauvre petite chose qui affrontait déjà la mort au printemps de sa vie. Il luttait pour survivre. Chaque inspiration aurait pu être la dernière. Il s'accrochait à la vie, qu'il risquait de perdre, si jeune, sans avoir vécu pleinement sa vie. Personne ne méritait se sort, personne. Il était si facile d'aller à la mort et si difficile de s'accrocher à la vie. A croire que les éléments s'acharnaient sur le pauvre louveteau qui couinait dans le froid, les premiers flocons de neige se mirent à tomber. Mère nature pouvait-elle être cruelle!

Une drôle d'émotion combla Shiranui. Il se sentait dans le devoir de l'aider, dans le devoir de le laisser vivre. Etais-ce les esprits de la forêt qui lui avait envoyé ce louveteau? Sans plus d'hésitations, il lui donna quelques coups de langue vigoureux pour le réchauffer et le porta dans sa gueule pour l'amener dans une petite tanière à laquelle Shiranui avait emménagé. Il lui donna le lapereau qu'il avait tué quelques instants plus tôt priant pour qu'il puisse le manger et qu'il était sevré. Sinon, il ne pourrait plus rien pour lui.

" Mange, Sembuh... "

Il vit la présence s'approcher de lui. Il s'agissait d'un loup gris, et Sembuh se révéla comblé par sa présence. Un loup, comme l'autre et la silhouette, comme lui après tout. Adieu la faim, adieu le froid, le loup allait le nourrir et le réchauffer, le dorloter comme l'eut fait la silhouette de la Mère.
Qui était parti trop loin, mais peut-être était-ce ce qui devait arriver, peut-être était-ce le destin ? Toutes ses notions se bousculaient dans sa tête, il avait l'impression d'avoir plus grandi en quelques heures qu'en ce cycle passer avec l'autre.
Tout bas, caché dans un tanière trop sombre.

Le loup s'approcha, les flocons se mirent à tomber. Tout doucement, virevoltant comme des milliers de petites pensées, étouffant doucement. Oui, le loup serait toujours assimilé à ces flocons, et à ce cocon de froid.
Le froid... L'être était là, il avait toujours froid. Mais ne pouvait-il rien faire, ce sorte de Dieu sortit de la torpeur du jour ? Ne pouvait-il pas le réchauffer ? Si la Mère le pouvait, pourquoi pas l'inconnu ? Il ne pouvait rien faire ? Il avait... il avait si froid.

Le loup lui lécha avec empressement son petit être, diffusant dans tout le corps une impression de chaleur bienfaisante. C'était si bon ; il était donc bien un sorte d'esprit, sortant de la forêt où il se tapissait pour venir le voir, lui ?
L'inconnu le prit tendrement dans sa gueule, comme la silhouette l'avait fait pour cette dernière petite promenade. Sembuh couina, surpris. Mais l'autre voulait-il l'abandonner ?

Les foulées de l'Alpha (Car oui, assurément, il s'agissait d'un Alpha. Ce maintien, cet... prestance, cela ne pouvait s'agir que d'un Alpha. Au ce mot, murmuré à l'oreille, cet notion qui avait semblé revenir plusieurs fois...) l'amenèrent dans une tanière.
L'autre le lâcha doucement sur le sol, présentant à ses yeux et à ses babines un lapereau fraîchement tué. Mais n'y avait-il que cela ? Cela, c'était les autres qui le mangeaient, la silhouette et tout le reste. Et le lait, ou était donc le lait ?

" Mange, Sembuh... "

Le jeune être approcha timidement son museau du petit corps, croquant avidement dans la chair sanguinolente. C'était trop dur... Il parvint cependant et fort difficilement, à avaler un maigre bout.
Un spasme le parcourut aussitôt, et il régurgita la viande à peine avalée.
Cela semblait si bon... Mais pourquoi ne pouvait-il pas ?

Sembuh geignit misérablement devant le bout tombé au sol, avant de s'en écarter.
Il ne voulait pas voir le regard de... Shiranui ?

Le jeune louveteau s'approcha de la nourriture que lui avait servi à manger mais n'arriva pas à la manger. Shiranui ne savait que faire. C'était le rôle des femelles de s'occuper des louveteaux, on n'avait jamais vu un mâle à la tâche, ils ne s'y connaissaient rien et Shiranui non plus. Que faire? Il allait mourir de faim. Il n'avait pas de lait et s'il contactait une nourrice de la meute, elle prendrait du temps pour venir et le petit serait mort de froid, Shiranui l'aurait donc sauvé pour rien. La petite chose gémit d'un air pitoyable puis s'écarta, comme s'il craignait le regard du mâle. L'Alpha sut à se moment là que ce petit était fait pour être dans une meute. Il avait acquis l'instinct d'un loup de meute. Avait-il senti la dominance de Shiranui? Quoi qu'il en soit, il ne pouvait pas abandonner cette petite chose à la mort, lui qui ferait sans doutes plus tard un efficace Guerrier de la Meute de la Feuille! Il savait qu'il ne pourrait finir Oméga, c'était impossible. Il fallait donc réfléchir pour essayer de lui faire manger la viande. C'était tout ce qu'il y avait en nourriture et il fallait faire avec.

Shiranui grogna de mécontentement. Ce louveteau tout maigrelet devrait se durcir s'il voulait survivre! Néanmoins, il voyait que ses petites dents n'étaient pas tout à fait prêtes à avaler la viande. Elles le seraient certainement dans même pas un cycle lunaire. D'ici là, il ne pourrait pas en manger alors il ne savait vraiment pas comment faire. Si seulement une nourrice était là, elle aurait pu s'en occuper et aurait su quoi faire! Shiranui eut soudain une idée. Il mâcha un bout de viande et la donna ensuite à Sembuh, si cela ne marcherait pas, le louveteau était condamné à mort...

[ Déso du temps :s ]

Sembuh observa avec circonspection la viande avalée, puis régurgitée par cette grande gueule protectrice. Voilà, il pensait que c'était ça qu'il fallait, pour son maigre organisme tout rabougris...
Le louveteau saisit du bout des mâchoires la viande ainsi tendue, mâchant vaillamment comme il semblait seul pouvoir le faire. Puis il avala ; et cela était bon : il agita piteusement sa queue, mais qu'est-ce que c'était bon ! Il se sentit comme un sorte de félicitée dans tout son être, dans son estomac, au fond de ce corps qui avait semblé lui échapper, alors qu'il n'était que depuis peu.
C'était un maigre bout, mais cela sembla suffire à ce trop jeune loup. Il était fatigué... Jetant un dernier regard à Shiranui, cet espèce de grand truc gentil, il se roula en boule.
Juste par ce qu'il était fatigué. Juste parce qu'il avait eu froid. Juste parce qu'il en avait bien le droit ; il n'était d'ailleurs qu'un louveteau, sa vie était forgée de siestes, de jeux et d'autres amusements. Alors il avait le droit. Alors c'était normal. Alors il allait... il allait s'endormir.
Dodo.
Il ferma ses yeux fatigués, poussa un dernier gémissement. Une seconde, deux. Il dort déjà.
Dormons encore un peu, laisse-toi porter par les rêves et vogue sur l'océan de brume. C'est ton droit et presque ton devoir, petite chose.